Some of them want to abuse you
Some of them want to be abused.
Brisement du carreau qu’on explose. Et pas que ça. Décombres à tes pieds, décombres dans le palpitant qui bat mille fois plus vite que cinq secondes auparavant. Charge d’adrénaline désagréable et cette impression tenace de se faire voleuse dans sa propre maison. Tu martèles les débris sous ta semelle, le verre ne se fracasse qu’un peu plus mais ne provoque qu’un vague haussement d’épaules. Lueur familière de chandeliers trop fragiles, trop couteux, ça éclaire tes pas qui évitent soigneusement le bureau, la cuisine où trône encore sa chaise, les photos encadrées dans le vestibule. Vestiges qui te donnent des hauts le cœur.
Pour la première fois, tu t'emmitoufles dans ta nouvelle ombre. Tu sais qu'elle est censée t'aider, mais tu ne sais pas comment l'utiliser.
Enfin, c'est la tienne.
Tu te l’es donnée, quand
elle t’a rayé de l’équation familiale.
Elle te fait un peu moins peur que toutes celles qui sillonnent la maison, qui comme des lames se plantent dans les portes. Et dans le lavabo de la salle de bain, et dans le crâne de ceux qui s'y lave les dents. Elles font mal comme des coups de soleil sur les yeux. Elles diffusent deux produits très toxiques pour le cœur troué que tu balades : d'abord du vide visible et ensuite des souvenirs de vie de toi ici.
Les deux cumulés, ça arrache la gueule.
T’es pas là pour vriller radio nostalgie, ta musique intérieure grince déjà des dents. Traquée d’une agonie crampon depuis trois mois, le manque te ronge plus cruellement que ces neuf dernières années, ça a jamais fait si mal. L’effroi quotidien de la réalité. Celle dans laquelle il n’existe plus. Flanquée de pépites d’espérance tu traverses les âges jusqu’au mémorial planqué sous les toits, une dimension parallèle entassée en château de cartons. Tu les ouvres vorace, avalant les reliques avec les toiles d’araignée, tentation vaine de se repaître d’un autre temps.
Avant est un pays magique.
Emmitouflée dans son vieux cuir, deux fois trop grand pour toi, tu retraces tes pas dans le chemin inverse. Repars les bras chargés du tombeau des lucioles.
La volonté soudaine piquée par une ancienne ennemie, une brume passagère qui te chatouille les coins des côtes, si bien que le bruit de l’eau qui coule en est éclipsé. Gommer les alentours, aux prises avec l’envoûtement de la chambre rose. La porte à peine poussée que t’assistes impuissante à l’éclosion des papillons noirs, intacte mais dépossédée de tes couleurs la grotte de ton enfance est devenue mausolée. Qu'est-ce qu'on devient quand on oublie les connexions enfantines, quand on les range dans un coffre du cerveau et qu'on ferme à clef comme un grenier pour jouets cassés ? Puis, qu'est-ce qu'on devient lorsqu'on laisse s'évaporer ses propres rêves, quand on les regarde s'éloigner comme des petits nuages blancs emportés par la brise, ces fameux rêves qui irriguent l'espoir et toute la machine à pétiller de l'esprit ? Et encore, qu'est-ce qu'on devient quand tout ça s'assèche petit à petit ?... T’effleure les livres, la boîte à musique, le diadème de reine de promo en lambeaux. La poussière comme marraine bonne fée. Y’a la pièce pour lui. La pièce pour toi. Madame Furie coule dans tes veines, amère d’être enterrée à deux pas de leur chambre à coucher.
Pourtant dissimuler le malaise intérieur. Tu sais faire. T’as appris.
Quand ton père fut parti, définitivement parti, c'était trop tard pour changer de vie. Chacun y tenait un rôle et t'étais devenue ce petit lutin charmant qui ensorcelait les hommes et menait la danse pour ne pas être scalpée.
Quand
l’autre est arrivé t’as enfoui au fond de toi ta rage, ton courroux, ton impuissance à réconcilier ton monde, ta méfiance envers ce beau sentiment qu'on appelle « amour » et qui ressemble si fort à la guerre.
Les yeux se lèvent. Sur le reflet déformé. Sur les cendres recouvrant la glace. Sur l’anatomie pénible derrière tes contours vagues.
Sur l’autre.
L’autre, l’étranger avec un E majuscule. Si grand qu’à l’époque déjà il prenait toute la place.
Encore aujourd’hui il envahit le miroir et dépasse sur ta silhouette.
Statique, immobile, tu le contemples à travers le rétroviseur. Pas le contemples, le toises. Guerrière d’1m63 campant ses positions. Les mots, terrible raz-de-marée, te rappellent sa présence devenue immuable. Acquise. Tu bois la tasse. Le syndicat des muscles tétanisés se manifeste. D'abord sourdement, puis les os se mettent à craquer. Et tes nerfs se tendent si fort que t’en perds l’équilibre. «
Ça t’arrive de bosser ? dégage ça hurle presque. Tu devines pas encore que ce n’est pas le fruit du hasard. Que t’as mal choisi tes heures pour t’emprunter des airs de fantôme. Le sien hante toujours les lieux. Ombre t’engloutissant toute entière, te foutant des frissons. Y’a des croquemitaines comme ça, comme
lui, qui défient le temps et la gravité, revêtent leurs pires costumes sous une apparence soignée. Impeccable. Fraîchement rasé. Odeur mentholée qui flotte entre vous, pas assez dense pour remplir l’espace. Un coin de menton négligé dans la précipitation que tu désignes arquant un sourcil «
Tu saignes. ».. Non Ode. C’est toi, qui saigne.